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Dramatique sauvetage en Seine
La pointe de l’île Saint-Louis a été, ces jours derniers, le théâtre d’un sauvetage des plus émouvants.
Il était dix heures du matin. Les passants, nombreux sur les quais et sur le pont Louis-Philippe, regardaient la Seine, très haute, dont le rapide courant roulait des eaux limoneuses.
Tout à coup, un homme, qui semblait en proie à une vive exaltation, enjamba le parapet en fonte du pont, et avant qu’une femme qui l’accompagnait eût pu le retenir, il s’élança dans la Seine.
Les passants, attirés par les cris de la femme, regardaient, impuissants, le désespéré qui, entraîné par le courant, allait disparaître.
Soudain, un homme, qui était descendu en bas de l’escalier de pierre du quai Bourbon, se précipita dans le fleuve et courageusement se mit à nager dans la direction du malheureux. Pendant plusieurs minutes, le sauveteur lutta contre le courant qui menaçait de l’emporter ; après de longs efforts, il atteignit enfin, au milieu du confluent des deux bras de la Seine, l’infortuné déjà privé de sentiment qu’un tourbillon violent allait engloutir.
Péniblement, le courageux sauveteur regagna la berge en tirant par ses vêtements celui qu’il venait d’arracher à la mort.
Lorsque sauveteur et sauvé eurent abordé, la foule, qui avait suivi avec émotion les péripéties du drame, fit une ovation méritée à l’homme qui venait de risquer sa vie pour sauver un de ses semblables.
Pendant qu’on transportait le noyé dans une pharmacie voisine, le courageux nageur se déroba aux félicitations des témoins. Il avait été reconnu par des habitants du quartier Notre-Dame, où il demeure. C’est un ouvrier bijoutier, Maurice Dufaux, âgé de trente-cinq ans.
Au rédacteur du Petit Journal, qui le félicitait de son acte de dévouement, M. Dufaux répondit simplement :
– « Mais je n’ai rien fait d’extraordinaire ! Si je me suis jeté à l’eau pour sauver cet homme, c’est que je me sentais capable de réussir. Il n’y a donc aucun mérite à faire une chose si simple. Et puis, voulez-vous que je vous dise ? Dans l’eau, je suis chez moi. Un petit bain comme celui que j’ai pris ce matin me fait toujours plaisir.
Quand j’ai pu attraper mon homme par les vêtements, j’étais bien certain de le ramener au rivage ! Dire qu’on veut me médailler pour cela ! »
M. Maurice Dufaux est, d’ailleurs, si l’on peut dire, un professionnel du sauvetage. Plus de vingt fois déjà, il a sauvé des gens de la noyade. Et toujours, il a refusé les médailles qui lui ont été offertes en récompense.
Grave et modeste, il nous rappelle en ses propos ce vieux sauveteur d’un de nos ports qui nous disait :
« Nous sauvons du monde quand ça se trouve, parce que nous sommes là, parce que nous sommes placés pour ça. On fait ces choses-là parce qu’on est habitué à les faire, parce que les parents en ont fait de semblables et qu’il n’y a pas de raison pour ne pas faire comme eux… »
Est-il rien de plus grand et de plus beau que cette simplicité dans l’héroïsme ?
Exposition temporaire DU 21 OCTOBRE 2023 AU 28 JANVIER 2024 (Passée)